pourquoi certains estiment que Macron ne va pas assez loin

Le président de la République a fait un pas samedi vers la reconnaissance des événements tragiques qui ont eu lieu il y a tout juste 60 ans. Mais il a aussi fait des déçus.

Emmanuel Macron promettait de mettre des mots sur une vérité incontestable. De qualifier avec la plus grande précision ce qui s’est passé ce 17 octobre 1961 à Paris. Le président de la République a en partie tenu parole. « La répression fut brutale, violente, sanglante, a écrit l4Elysée dans son communiqué. Près de 12 000 Algériens furent arrêtés et transférés dans des centres de tri au Stade de Coubertin, au Palais des sports et dans d’autres lieux. Outre de nombreux blessés, plusieurs dizaines furent tués, leurs corps jetés dans la Seine. De nombreuses familles n’ont jamais retrouvé la dépouille de leurs proches, disparus cette nuit-là. »

Le récit est juste mais il laisse à de nombreux acteurs associatifs et autres responsables politiques un petit goût d’inachevé. Si Emmanuel Macron a décrit plus précisément ce qui s’est passé ce jour-là, plus qu’aucun autre président sans doute sur ce sujet, il n’aurait pas tout dit.

Depuis samedi, des voix s’élèvent en effet pour regretter l’insuffisance des mots présidentiels . Présent à Colombes samedi après-midi, Mehdi Lallaoui, le président de l’association « Au nom de la mémoire », faisait partie des plus résignés. « On est très déçus car c’est très très en deçà de ce que l’on demande. C’est une occasion ratée », déplorait-il auprès du Parisien.

« Un déni très lourd à lever »

Car le président de la République a fait des choix, que certains assimilent à des renoncements. Emmanuel Macron ne désigne qu’un seul responsable dans cette répression sanglante, qui a coûté la vie à au moins 120 personnes selon les estimations des historiens : l’ancien préfet de police de Paris Maurice Papon. Un choix qui fait bondir Gilles Manceron. « On parle de crime, mais le préfet de police est le seul désigné. On ne parle pas de crime d’État, alors que les responsabilités sont à chercher jusqu’au plus haut sommet de l’État. L’ordre a été donné de réprimer les manifestants. »

L’historien évoque ici les responsabilités potentielles de deux hommes. Celles de Roger Frey, alors ministre de l’Intérieur et de Michel Debré, Premier ministre de l’époque. Des années durant, le bilan officiel n’a pas dépassé les trois morts. « C’est un déni très lourd à lever, continue Gilles Manceron. Pendant trente ans, les autorités ont livré une vérité mensongère. Il y a des responsabilités dans les actes, mais aussi dans la dissimulation des faits. »

Le témoignage de Rabah Sahili auprès de l’AFP, dont la voix se brise au souvenir de la soirée du 17 octobre 1961, est parlant. « Policiers et gendarmes étaient d’une brutalité atroce. Ils avaient la rage de faire mal, raconte-t-il. J’étais avec un cousin quand des policiers nous sont tombés dessus. Plus costaud que moi, il a tenté de me protéger mais il a reçu une avalanche de coups de crosses de revolvers et de matraques, qui lui ont causé une fracture à la jambe. » Il raconte aussi son séjour, d’une quinzaine de jours, au « centre de tri » de Vincennes. « Ce camp était dépourvu de toutes les commodités : ni lits, ni toilettes. On dormait à même le sol dans un froid glacial ».

Ce « déni », comme le nomme encore Gilles Manceron, sera lourd à lever. Il a été pour Francois Hollande , qui avait parlé en 2012 de « répression sanglante » dans un communiqué de cinq lignes. Il l’est aussi pour Emmanuel Macron, en dépit d’une avancée réelle dans le travail de mémoire. Il le sera sans doute à l’avenir. « Gaston Deferre, avant l’arrivée de la gauche au pouvoir, avait demandé des comptes sur les événements du 17 octobre. Il avait accusé Maurice Papon de crime de guerre. Quand la gauche est arrivée au pouvoir, on lui a demandé s’il allait reconnaître la répression de 1961. Sa réponse a été « N’y comptez pas, pas avant 20 ou 30 ans ». »

« Reconnaître clairement et sans ambiguïté le massacre colonial et le crime d’État »

Gilles Manceron, comme d’autres historiens, estime que la vérité des faits ne peut être reconnue qu’en parlant de « crime d’État ». Mehdi Lallaoui ne décolère pas : « On peut donc assassiner les gens sans qu’il n’y ait de poursuites, ni que les responsables soient nommés comme la police parisienne, Roger Frey, Michel Debré ou encore le président de la République d’alors : le général de Gaulle ».

Un crime d’État, c’est aussi ce qu’appellent à reconnaître 11 maires de la région parisienne et d’Allonnes dans la Sarthe. Les signataires franciliens sont élus de Montreuil, Nanterre, Trappes, Fontenay-sous-Bois, Gennevilliers, l’Île-Saint-Denis, Stains, Grigny, Bobigny, La Courneuve. Ils demandent au président de la République de « reconnaître clairement et sans ambiguïté le massacre colonial et le crime d’État ».

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